Cartographier les potentialités d'accueil des abeilles sauvages en milieux naturels à semi-naturels

Dans le cadre de sa convention avec la Région Nouvelle-Aquitaine, le Conservatoire botanique a posé les bases d’une méthode d’évaluation des capacités d’accueil des abeilles sauvages dans les milieux naturels ou semi-naturels. Bien que celle-ci reste encore à améliorer, cette étude illustre la possibilité de mobiliser les relevés botaniques et phytosociologiques du Conservatoire pour contribuer à la conservation des pollinisateurs sauvages…
Quand on parle « d’abeille », on pense la plupart du temps à l’Abeille domestique (Apis mellifera), la seule espèce à produire du miel dans des ruches et élevée par l’homme depuis plus de 10 000 ans. Derrière ce terme générique se cache en réalité près d’un millier d’autres espèces d’abeilles sauvages, solitaires ou grégaires. Sur les quelques 980 espèces d’abeilles sauvages identifiées en France métropolitaine, il existe une grande diversité de comportements, de biologie, de besoins alimentaires qui n’ont pas beaucoup de points communs avec l’abeille domestique si ce n’est d’appartenir à une même entité systématique, les Hyménoptères apiformes. D’une part, les abeilles sauvages recherchent leur alimentation dans un rayon de 500 à 800 m en moyenne tandis que l’abeille domestique peut se déplacer jusqu’à 3 km. D’autre part, les abeilles sauvages ne produisent que quelques oeufs par femelle alors qu’une reine d’abeille domestique peut assurer la descendance de milliers d’individus. De même, si près de 30 % des abeilles sauvages tirent leur nourriture (nectar et pollen) d’un nombre réduit d’espèces végétales (espèces oligolectiques), l’abeille domestique peut visiter et polliniser jusqu’à plus de 1000 espèces végétales pour trouver de quoi se nourrir. Et pour conclure sur ces grandes différences, notons que les abeilles sauvages ont besoin de microhabitats pour pondre (sols meubles, tiges creuses, murs etc.) alors que l’abeille domestique se reproduit, dans la majorité des cas, au sein d’une ruche.
Les abeilles jouent un rôle fondamental dans la pollinisation : en recherchant du nectar, source d’énergie, ou du pollen, source de nutriments, les abeilles transportent à leur insu des grains de pollens d’une fleur à l’autre, des organes reproducteurs mâles d’une fleur (étamines) vers les organes femelles (pistil) d’une autre fleur. Ce transport permet la fécondation (reproduction sexuée) de la plante, et par conséquent la production de fruits et de graines. C'est une étape majeure de la reproduction des plantes à fleurs même si certaines espèces peuvent produire des fruits sans fécondation (parthénocarpie).
En 2006, la FAO (Food and Agricultural Organisation) a lancé un cri d’alarme pour sensibiliser sur le déclin massif des abeilles dans le monde, étayé par de nombreux travaux européens. Les causes du déclin sont multiples et quatre facteurs sont régulièrement avancés:
- l’impact des produits phytopharmaceutiques (destruction directe d’individus…) ;
- la déstructuration, l’homogénéisation et la fragmentation du paysage conduisant à une perte de biodiversité floristique (réduction des linéaires de haies, expansion des surfaces de monoculture, multiplication des infrastructures de transport, urbanisation …) ;
- la proliférations de prédateurs et des maladies de l’abeille domestique (Varoa, Frelon asiatique, Aethina, Teigne, Virus…) ;
- l’intensification de l’élevage de l’abeille domestique (mouvement de colonies favorisant la dispersion de parasites et maladies, sélection génétiques conduisant à la perte de caractères adaptatifs, commerce international de reines, inadaptation aux conditions climatiques fluctuantes…).
Si les potentialités nectarifères et pollinifères des plantes des zones cultivée et associées (Colza, arbres fruitiers, Phacélie…) sont bien étudiées chez l’Abeille domestique (Apis mellifera), il en est tout autrement sur les abeilles sauvages et les milieux naturels à semi-naturels. Bien que des essais de cartographie des potentialités mellifères des végétations pour l’abeille domestique ont été réalisés, l’étude des ressources disponibles pour les abeilles sauvages (environ 980 espèces en France) reste encore à approfondir.
Notre objectif : identifier les zones potentiellement favorables aux abeilles sauvages pour éviter d’y installer des ruches et réduire ainsi la concurrence alimentaire et territoriale entre l’abeille domestique et les abeilles sauvages.
En 2017, la région Nouvelle-Aquitaine a lancé les bases d’un plan régional d’action pour la préservation des pollinisateurs dont les abeilles sauvages. Parallèlement à ce programme, en raison du rôle des abeilles dans la pollinisation et la reproduction de la flore, le CBN Massif central a également souhaité s’investir dans la préservation des abeilles sauvages et des ressources alimentaires constituées par la flore et les végétations. Et alors que l’objectif des travaux évoqués précédemment étaient d’identifier les zones potentiellement favorables à l’installation de ruches pour l’Abeille domestique, l’objectif de l’étude du Conservatoire est inverse : il s’agit ici d’identifier les zones potentiellement favorables aux abeilles sauvages pour éviter d’y installer des ruches et réduire ainsi la concurrence alimentaire et territoriale entre l’abeille domestique et les abeilles sauvages.
Le CBN Massif central a ainsi souhaité vérifier s’il était possible, à partir de travaux de cartographie des végétations déjà réalisés, de prédire les potentialités d’accueil des abeilles sauvages et plus globalement les pollinisateurs dans les milieux naturels à semi-naturels. Dans ce cadre, il a choisi d’expérimenter sa méthode sur une site particulièrement diversifié et déjà cartographié par le Conservatoire. Avec plus de 40 végétations différentes, c’est le site Natura 2000 de la « Vallée du ruisseau du Moulin de Vignols » qui a été sélectionné. Ce site de 322 ha se situe en Corrèze, dans le « Bas-Limousin », à l’extrême nord du bassin de Brive, dans un secteur au relief tourmenté.
Les botanistes du Conservatoire ont ensuite élaboré un ensemble d’indices indiquant le potentiel d’accueil pour chaque type de végétations étudié sur le site selon l’intérêt, pour les abeilles sauvages, des plantes qui y ont été recensées. Ces indices reposent sur la prise en compte des exigences alimentaires des abeilles sauvages (abeilles polylectiques, oligolectiques ou monolectiques), sur leurs caractéristiques anatomiques (taille de la langue) et sur la composition des végétations en espèces caractéristiques des végétations au plan qualitatif (diversité spécifique) et quantitatif (recouvrement des espèces). Ils visent notamment à évaluer la diversité floritistique, le nombre d’espèces fréquentées par les abeilles oligolectiques, la diversité des microhabitats favorables.
Les relevés botaniques et phytosociologiques préalablement réalisés par le Conservatoire ont permis de délimiter chaque végétation et leurs ressources pour les abeilles tandis que l’abondance en microhabitats favorables a été estimée à dire d’experts selon la structure de la végétation.
Après analyse des différents indices, chaque végétation cartographiée sur le site a fait l’objet d’une notation globale visant à indiquer la capacité (favorable, altérée ou mauvaise) d’accueil des pollinisateurs.
À la lecture des premiers résultats, plusieurs points restent à préciser dans le cadre de la poursuite du travail : les seuils distinguant les trois classes d’accueil des abeilles sauvages (capacité favorable, altérée ou mauvaise) restent à calibrer sur la base d’un nombre suffisant de relevés ; la présence de microhabitats au sein des végétations devra être plus finement analysée selon un protocole restant à définir ; les végétations anthropophiles n’ont pas été prises en compte malgré leur potentiel d’accueil parfois favorable.
Malgré ces premiers écueils, on pourra souligner l’intérêt des sciences végétales pour décrire les évolutions de notre environnement et permettre une analyse fine de certains enjeux. À la lueur des travaux portant sur la composition floristique des prairies et permettant une analyse fine des pratiques agricoles et de leurs impacts sur la flore, on peut espérer qu’à court terme, les nombreuses données acquises par le Conservatoire botanique depuis plusieurs dizaines d’années, participent à une lecture rapide et précise des enjeux de conservation des abeilles sauvages…
L. Chabrol / CBN Massif central
Cette action a été soutenue par la Région Nouvelle-Aquitaine