Les bryophytes d’intérêt communautaire dans le réseau Natura 2000

Six bryophytes du Massif central figurent dans l’annexe I de la convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe ou Convention de Berne, 1979. Cette convention a fait l’objet d’une retranscription dans la législation française par l’arrêté du 23 mai 2013 conférant in fine aux espèces mentionnées une protection réglementaire sur l’ensemble du territoire national.
Ces espèces - hormis Pyramidula tetragona – sont inscrites à l’annexe II de la Directive Habitats-Faune-Flore (Directive 92/43/CEE du 21 mai 1992). De fait, elles contribuent à justifier le classement d’un espace naturel en site d’importance communautaire (SIC). L’objectif premier des SIC est de maintenir ou de rétablir le bon état de conservation des habitats et des espèces à fort enjeu de conservation.
Sur quels sites Natura 2000 et à quelle date ont été observées ces espèces sur les 7 départements aurhalpin du Massif central ? C’est la question à laquelle a tenté de répondre cette étude menée en 2023 par le CBN Massif central...

Synthèse des observations dans le Massif central

Dans un premier temps, le CBN s’est intéressé aux dernières dates d’observation dans chaque département aurhalpins du Massif central pour chacune des 6 espèces de bryophytes d’intérêt communautaire présentes dans le Massif central, à savoir :la Bruchie des Vosges (Bruchia vogesiaca Nestl. ex Schwägr., 1824), la Buxbaumie verte (Buxbaumia viridis [Moug. ex Lam. & DC.] Brid. ex Moug. & Nestl), le Dicrane vert (Dicranum viride [Sull. & Lesq.] Lindb., 1863, l’Hypne brillante (Hamatocaulis vernicosus [Mitt.] Hedenäs, 1989, la Grimaldie rupestre (Mannia triandra [Scop.] Grolle, 1975), l’Orthotric de Roger (Orthotrichum rogeri Brid., 1812) .

On remarque que tous les départements — hormis le Rhône qui néanmoins abrite cinq des six espèces hors réseau Natura 2000, puisque seule la Bruchie des Vosges n’y a jusque-là pas été observée — accueillent au moins deux bryophytes d’intérêt communautaire.

Fig. 2, 3 et 4 - L’Hypne brillante – © KareX / A. LABROCHE.

Dans un second temps, le CBN a étudié la présence des 6 espèces au sein des 129 sites d’importance communautaire du réseau Natura 2000 sur les sept départements aurhalpins. Parmi ceux-ci, 39 abritent au moins une espèce de bryophyte d’intérêt communautaire. Toutes les données historiques ou anciennes dans les sites Natura 2000 ont été confortées par des observations récentes, c’est-à-dire postérieures à 1999 , avec deux exceptions illustrées dans le tableau suivant : l’hypne brillante observée pour la dernière fois dans le site ardéchois « Loire et ses affluents » en 1999 et la Buxbaulmie verte qui n’a pas été observée dans le site « parties sommitales du Forez et hautes-Chaumes » depuis 1899 !

Cependant, il est important de tenir compte de l’obsolescence des données : parmi les 60 « dernières années d’observation /occurrence », seules 12 sont antérieures à 2010.

Certains sites abritent 3, voire 4 bryophytes d’intérêt communautaire. Leurs conditions écologiques sont en effet propices à une grande richesse en mousses et hépatiques (Monts du Cantal, Monts du Forez, Cézallier, Margeride).

Un certain nombre d’observations associées à l’une des 6 espèces de bryophytes dans le réseau Natura 2000 ne semblent pas prises en compte sur le site web de l’Inventaire National du Patrimoine Naturel (inpn.mnhn.fr — rubrique « Sites Natura 2000 désignés pour »). Celles-ci sont indiquées dans les tableaux suivants par le symbole *. Aussi, lorsqu’une espèce n’a pas été observée depuis 2000 dans un site, l’observation est surlignée en jaune.

Fig. 5, 6 et 7 : la Buxbaumie verte – © KareX / A. LABROCHE

Des connaissances qui restent à approfondir

Le site web de l’Inventaire National du Patrimoine Naturel, dans une rubrique intitulée « Sites Natura 2000 désignés pour …», fait état de la présence de chacune des espèces d’intérêt communautaire, de leur présence dans le réseau Natura 2000. Sur ce site sont également proposés une carte de répartition associée aux données brutes et un tableau des sites d’intérêt communautaire accueillant l’espèce. Néanmoins, une consultation des données pour les 6 espèces cibles laisse à penser que les données sur lesquelles s’appuie l’INPN demeurent lacunaires. Une actualisation des données serait à envisager afin de permettre leur meilleure prise en compte par les acteurs et pouvoirs publics du territoire.

À l’examen des données, il apparaît que le niveau de connaissance actuel des bryophytes d’intérêt communautaire en région Auvergne-Rhône-Alpes s’avère variable. Même si, d’une manière générale, peu d’observations à l’heure actuelle méritent d’être actualisées celles-ci deviendront assez rapidement obsolètes et une actualisation des données dans le Massif central devra être envisagée à moyen terme, en tenant compte de la problématique liée à chaque espèce.

Outre la temporalité des observations, c’est la répartition dans le Massif central de certaines espèces qui mériterait d’être affinée . La Bruchie devrait être recherchée dans de nouvelles régions naturelles (Mézenc, Monts du cantal, etc.), avec néanmoins des difficultés inhérentes à son cycle de développement (espèce à éclipses, fenêtre phénologique). La Buxbaumie est l’une des espèces d’intérêt communautaire les plus observées (y compris par des néophytes). Sa recherche sous sa forme propagulifère permettrait certainement de l’identifier dans de nouveaux sites, et en particulier dans des milieux a priori moins favorables (plaine, site à humidité atmosphérique réduite…). Le Dicrane vert mériterait quant à lui d’être recherché dans les sites dits « Les gorges du Haut Cher » et « Gites de Hérisson ». L’Hypne brillante qui jouit pourtant d’une bonne détectabilité toute l’année, n'a pas été revue en Ardèche depuis le début des années 2000. L’intensification des pratiques agricoles est l’une des causes principales ayant contribué à la régression de l’espèce sur ce département. Vraisemblablement encore présente, mais en faible effectif, elle serait à rechercher dans les sites Natura 2000 du sud-ouest ardéchois. De la même manière, la Grimaldie rupestre est probablement présente dans d’autres sites Natura 2000 ardéchois, y compris dans les régions naturelles plus septentrionales (Massif du Coiron, etc.), tout comme l’Orthotric de Roger pourrait être découvert dans de nombreux sites Natura 2000 de l’étage montagnard. Enfin, les mentions d’espèces considérées comme douteuses pourraient faire l’objet de recherches complémentaires ciblées. C’est le cas de l’observation du Dicrane vert dans les Gorges de la Rhue.

Fig. 9, 10 et 11 : © LABROCHE A.- CBN Massif central

Un dispositif pour suivre les espèces d’intérêt communautaire à l’échelon national

Les Conservatoires botaniques nationaux sont engagés dans l’élaboration de protocoles de suivi des bryophytes figurant sur la Directive Habitats-Faune-Flore (surveillance des espèces d’intérêt communautaire). Ces protocoles de suivi ont pour socle commun l’attestation de la présence de chaque espèce dans le réseau Natura 2000 (présence associée à une estimation de l’effectif de la population adaptée en fonction de la biologie de l’espèce et de l’étendue des populations). Pour certaines bryophytes, un second volet vise à évaluer de manière plus minutieuse l’évolution spatiale de leurs populations tout en collectant des informations précises quant à leur enveloppe écologique. Ce second volet revêt une importance capitale pour certaines espèces puisqu’il permettra de mieux comprendre la biologie et l’écologie de chaque espèce, et donc d’avoir la capacité d’améliorer l’état de conservation de ses populations. Ces protocoles seront prochainement mis en œuvre dans toute la France métropolitaine.

Fig. 12 : distribution des 6 espèces sur la partie Massif central d’Auvergne-Rhône-Alpes (incluant les observations hors réseau Natura 2000).

Référence bibliographique : LABROCHE A. 2024. – Les bryophytes d’intérêt communautaire dans le réseau Natura 2000 - Région Auvergne-Rhône-Alpes. Conservatoire botanique national du Massif central / Région Auvergne-Rhône-Alpes, 14 p.