La cartographie de la végétation du Parc naturel régional Livradois-Forez : une innovation scientifique de premier ordre !
Résumé
Après plus de 5 années d’inventaire de terrain, de saisie et de conception cartographique, le Conservatoire botanique national du Massif central et le Parc naturel régional Livradois-Forez ont édité les premières cartes de végétation élaborées dans le cadre du programme de Cartographie de la végétation de la France Métropolitaine (CarHAB porté par le Ministère de la Transition écologique et solidaire en 2011).
Le programme CarHAB s’attache à améliorer la connaissance de la végétation, des habitats naturels et semi-naturels et leur répartition afin de mieux les prendre en compte dans les politiques territoriales et les projets d’aménagement, à l’aide d’une nouvelle méthode d’étude et de cartographie s’inspirant de la phytosociologie paysagère*.
L’expérimentation de cette méthode sur l’ensemble des 282 700 hectares du territoire du Parc naturel régional Livradois-Forez constitue, au plan national, la première concrétisation de ce programme. Ce travail alimente les outils de connaissance élaborés par le Parc dans le but de contribuer à la préservation du patrimoine naturel.
Une première carte (Partie 1) présente la physionomie des végétations à travers 20 types et plus de 110 000 polygones cartographiés. La seconde carte (Partie 2) expose la végétation potentielle répartie sur 47 séries et géoséries. Ces cartes illustrent deux exemples de représentations, réalisées à partir d’une base de données contenant près de 20 millions de données et pouvant donner lieu à des requêtes et croisements multiples. Ces données ont été intégrées dans un système d’information géographique (SIG) qui permet une lecture détaillée au 1/25 000e. Pour plus de précisions, une notice apporte des éléments complémentaires en particulier au niveau statistique.
Présentées en avant première aux élus du territoire du Parc et prochainement distribuées par voie postale auprès du réseau d'acteurs techniques et partenaires du programme au cours de l'été, ces cartes et d’autres documents complémentaires sont d'ores et déjà téléchargeables en basse définition sur www.cbnmc.fr (rubrique publications), en en haute définition sur le site du Parc : http://www.parc-livradois-forez.org/carhab
Cette réalisation coordonnée par le Conservatoire est le fruit d’une collaboration poussée avec le Parc Livradois-Forez, l’Université Jean-Monnet de Saint-Étienne – laboratoire EVS ISTHME et l’IGN. Elle a bénéficié des soutiens financiers de l’Europe (FEDER), de l’État (MTES et DREAL), de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, et des Départements membres du syndicat mixte du Parc Livradois-Forez (le Puy-de-Dôme, la Haute-Loire et la Loire).
* La phytosociologie paysagère, quésaco ? La phytosociologie paysagère consiste à décrire les ensembles de végétations qui composent chaque paysage d'un territoire ou secteur homogène, en s'intéressant aux conditions écologiques qui les façonnent (sol, climat, relief...), à leur trajectoire dynamique (succession des stades d'évolution de la végétation sur un même lieu : prairie > friche > forêt...), ainsi qu'à leur organisation géographique.
Le défi de CarHAB : cartographier la végétation de France métropolitaine !
Un outil particulièrement attendu...
Dans le cadre de la Stratégie nationale pour la biodiversité 2011-2020, l’État français s’est fixé comme objectif phare de mieux connaître la biodiversité sur son sol et d'évaluer son état de conservation. À ce jour, hormis sur les sites naturels remarquables déjà bien connus, peu de données lui permettent, par exemple, d'estimer la superficie exacte de marais ou de landes en France, encore moins d'en délimiter les contours ou d'avoir une idée de leur composition faunistique et floristique...
Porté depuis 2011 par le Ministère de la transition écologique et solidaire (MTES) et l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), grâce notamment à l'expertise des Conservatoires botaniques nationaux dont celle du CBN Massif central, le programme de cartographie nationale de la végétation « CarHAB » vise à construire un système d’information géographique portant sur la végétation afin de répondre aux grands enjeux relatifs à la biodiversité, à l’aménagement et aux changements globaux. Il s’inscrit dans une démarche générale de cartographie détaillée des habitats terrestres en Europe.
Menée à l'échelle du 1/25 000 en priorité sur les territoires d'intérêt écologique, cette cartographie nationale permettrait de connaître précisément la répartition de tous les types de végétation et de répondre à de nombreuses questions : où se situent les habitats d’intérêt européen et quels sont leurs états de conservation (et répondre ainsi aux obligations européennes dans le cadre de la directive « Habitats, Faune, Flore »), comment sont réparties les trames forestières, pastorales, humides (trames verte et bleue) qui quadrillent le territoire ? Quels seront les impacts écologiques des grands projets d’aménagement à venir ? Quelles végétations protéger en priorité ? Quelles essences forestières ou quels types de cultures peut-on privilégier sur les territoires ?...
Jusqu'à ce jour, la première étape du projet a consisté à définir le cadre méthodologique et à mener des tests régionaux préalables à la généralisation de la cartographie au niveau national.
L’importante implication du CBN Massif central dans ce programme a permis de proposer, auprès du Ministère de l'écologie, le choix de la Loire comme département test de la méthode CarHAB (avec l’Isère et le Cher).
Par ailleurs, à la faveur d’initiatives locales, des zones tests ont été suggérées en dehors des trois départements initiaux. Ainsi, le CBN Massif central a soumis, dès 2012, l’inscription du territoire du Parc naturel régional Livradois-Forez comme zone test CarHAB. C'est ainsi que le Parc naturel régional Livradois-Forez se trouve être aujourd'hui le premier "grand" territoire à avoir terminé la cartographie de sa végétation !
Une méthode originale : l'emboîtement d'échelles
Connaître l'agencement, la distribution et l'évolution de la végétation d'un territoire peut répondre à de nombreux besoins, que l'on soit un agent forestier sélectionnant l'essence la plus adaptée à sa propriété boisée ou un paysagiste cherchant sur quelle partie du territoire proposer un nouvel axe autoroutier. Cette connaissance implique une échelle de lecture et une projection dans le temps différentes...
L’originalité du projet réside dans son approche cartographique s'inspirant de la phytosociologie paysagère et dans la volonté première de traduire la dynamique de végétation, à plusieurs échelles de lecture. Ces trois points clés constituent les piliers du programme CarHAB...
1 - Les apports de la phytosociologie
Discipline peu courante à mi-chemin entre la géographie et la botanique, théorisée par de multiples écoles tout au long du XXe siècle, la phytosociologie est aux plantes ce que la sociologie est aux hommes : l'étude des rapports de groupes de plantes, dits «communautés végétales». Tandis que la botanique s'intéresse aux plantes, la phytosociologie les considère dans leur milieu et examine les rapports que leurs populations de plantes ont entre elles, dans l'espace et dans le temps. En somme, la phytosociologie paysagère consiste à comprendre les végétations qui composent les paysages d'un territoire ou secteur homogène, décrire les conditions écologiques qui les façonnent (sol, climat, relief...), leur organisation géographique et leurs évolution et trajectoire dynamique (succession des stades d'évolution de la végétation sur un même lieu...) selon qu'elles soient naturelles ou influencées par les activités humaines.
2 - Une vision dynamique du territoire qui s'inscrit dans le temps
Pour qui cartographie le vivant, la dimension temporelle rend rapidement périssables les données collectées. Rares sont les végétations immuables sur un territoire largement soumis aux perturbations naturelles et anthropiques. Le grand défi posé par le programme CarHAB consiste donc à cartographier la végétation existante selon les conditions écologiques (sol, climat, relief...) propres à chaque territoire mais aussi celle pouvant s'exprimer à la faveur de l'évolution naturelle des écosystèmes ou consécutivement aux activités humaines. Autrement dit, il s'agit ici autant de s'intéresser à la végétation qu'il est possible d'observer aujourd'hui, que deviner celle de demain si l'activité humaine (agricole, sylvicole...) venait à changer ! Le programme CarHAB consiste donc à cartographier les végétations observées mais aussi les végétations potentielles...
3 - De multiples niveaux d'analyse
Si le botaniste raisonne à l'échelle des populations des plantes qu'il inventorie, le phytosociologue raisonne à l'échelle des communautés végétales, différenciant les végétations boisées de celles herbacées puis s'intéresse aux motifs qui composent le paysage devant ses yeux et aux phénomènes qui en assurent la transition, (dans des conditions écologiques homogènes) c'est-à-dire aux séries de végétation, voire aux géoséries de végétation.
Un des grands atouts du programme CarHAB est qu'il attache autant d'importance aux plantes inventoriées localement qu'aux grands ensembles paysagers caractérisant le territoire. Il englobe chaque objet d'étude, chaque niveau de lecture de la plante jusqu'au paysage, au sein d'un système logique de représentation. Dès lors CarHAB n'est pas qu'une couche cartographique mais aussi une base de données détaillant chaque information à différentes échelles de lecture même si l'échelle de travail d'analyse et de restitution retenue est celle du 1/25 000.
La Cartographie CarHAB du Parc naturel régional Livradois-Forez
Le projet du Parc
En 2011, dans le cadre de la mise en œuvre de sa nouvelle charte, le PNR Livradois-Forez s’est engagé avec le Conservatoire botanique national du Massif central dans un programme de cartographie de la végétation et des habitats.
Ce programme avait pour but d’élaborer une cartographie sur la totalité du territoire du PNR Livradois-Forez et visait plusieurs objectifs :
- disposer d’un outil de référence en matière de connaissance des groupements végétaux et des habitats sur la totalité de son territoire ;
- déterminer des priorités d’intervention et effectuer des choix en termes de protection et de gestion à l’échelle du territoire du PNR Livradois-Forez (réseaux écologiques, trame verte et bleue…) ou à une échelle plus locale (PLU, projets d’aménagement…) ;
- valoriser les connaissances et l’outil à des fins pédagogiques.
Au regard de ces objectifs et de l’engagement scientifique du CBNMC dans le programme CarHAB, cette démarche territoriale ambitieuse a été intégrée dans le programme national au cours de l’année 2013.
La zone du PNR Livradois-Forez cartographiée par l’équipe du CBNMC correspond au périmètre du territoire classé en Parc naturel régional par décret en 2011, soit 282 700 ha.
La méthode
Le territoire du PNR Livradois-Forez a été analysé selon une approche originale s’inspirant directement des concepts de la phytosociologie paysagère sur lesquels s’appuie la méthodologie CarHAB. Cette approche permet d’analyser la végétation sur plusieurs niveaux (voir page ci-contre) : l’association végétale, la série de végétation et la géosérie de végétation (complexe de séries).
Une technique innovante se basant sur l’utilisation de plusieurs produits pré-cartographiques (obtenus par modélisation de paramètres écologiques et de données physionomiques) et sur un plan d’échantillonnage de terrain solide a permis de générer des modèles fiables utilisés pour informer l’intégralité des 282 700 ha du PNR Livradois-Forez.
L’Université Jean-Monnet de Saint-Étienne – laboratoire EVS ISTHME et l’IGN ont notamment travaillé à l'élaboration des fonds cartographiques en modélisant les paramètres écologiques (géologie, climat, relief...) et de données physionomiques, tandis que l'équipe du Conservatoire botanique s'est attachée à modéliser la végétation au regard de données collectées sur le terrain mais aussi en analysant finement les photographies aériennes et images satelittales.
Résultats : un outil 3 en 1 !
La volonté d’intégrer les trois niveaux de lecture phytosociologique (association végétale, série, géosérie...) au sein d’un système d’information géographique unique a déterminé une architecture spécifique des données géographiques permettant de réaliser, selon les requêtes, de nombreuses représentations cartographiques.
Le résultat se présente sous la forme d’une base de données compilant de nombreuses informations relatives à la végétation, la physionomie du couvert végétal et l’écologie, mais aussi d’une carte imprimée au format A0. La carte de la végétation (au recto, catégories physionomiques) et la carte de la végétation potentielle (au verso, séries et géoséries) présentées dans ce document sont deux exemples de représentations cartographiques générées depuis cette base de données.
Carte n°1 - Catégories physionomiques
... pour "lire" le paysage végétal du Livradois-Forez... Cette première carte présente la physionomie des végétations à travers 20 types et plus de 110 000 polygones cartographiés.
Les différentes catégories correspondent aux principales physionomies végétales composant le paysage (prairie, pelouse, forêt, tourbière…)identifiées lors des prospections de terrain et après une importante campagne de photo-interprétation.
À première lecture, on peut voir et quantifier, par exemple, l'étendue des surfaces forestières (plantées et naturelles) et des surfaces en prairies permanentes qui couvrent ainsi les trois quarts du territoire ; ou encore prendre conscience de l'importante rareté des tourbières boisées (55 ha) ou des pelouses sèches (0,28 % du territoire).
Cette cartographie permet également de visualiser l'étendue et la répartition des surfaces artificialisées (cultures, zones bâties, prairies temporaires, plantations forestières...) ou encore des zones humides...
Carte n°2 - Séries et géoséries de végétations
... pour "deviner" le paysage végétal de demain. Cette seconde carte permet de visualiser et quantifier, par grands ensembles, les potentialités végétales du territoire, au sein de chaque secteur régi par des conditions écologiques identiques (climat, relief, géologie).
Il est ainsi possible de savoir, sur une localité précise, si le stade d'évolution ultime de la végétation (en cas d'abandon total, par exemple) correspond à une Hêtraie-Chênaie à Luzule des bois et Chêne sessile ou à une Pinède à Genêt purgatif et Pin sylvestre...
Elle permet, selon la connaissance de la géologie, du relief et du climat de "deviner" les différents types de végétation présents, qu'ils s'agissent de sols nus, de prairies ou de vieilles forêts...
Pour aller plus loin dans la compréhension du territoire...
La notice propose une première approche des nombreux croisements d'information qu'il est possible de réaliser à partir des données collectées dans le cadre du programme CarHAB.
Pour chaque série de végétation, cette notice propose par exemple la visualisation de la répartition de chaque catégorie physionomique au sein du Parc. On peut ainsi observer que la Chênaie à Céphalanthère de Damas ne présente pas ou peu de végétations forestières matures alors qu'elle couvre une surface de 4 261 ha...
Grâce à CarHAB, je peux...
Je suis élu... Je peux choisir l'emplacement d'une zone résidentielle nouvelle dans le cadre de mon plan local d'urbanisme en tenant compte des sensibilités environnementales existantes ou potentielles, et intégrer certaines dispositions dans le cahier des charges des constructeurs pour faciliter la reprise de la végétation naturelle...
Je suis agriculteur... Je peux identifier les secteurs les plus porteurs de biodiversité pour participer à sa préservation. Je peux vérifier que la flore exploitée est la plus favorable à ma production fourragère tout en respectant le potentiel de production "naturel".
Je suis forestier... Je peux connaître les "stations forestières" de ma propriété et identifier les essences les plus adaptées au territoire tout en respectant la biodiversité existante ou à venir. Je peux également connaître d'avance les essences spontanées qui viendront s'installer à la faveur d'une coupe d'exploitation ou encore identifier les essences de mes parcelles les plus sensibles au changement climatique à venir.
Je suis apiculteur... Je peux repérer les territoires les plus favorables aux végétations mellifères et rationaliser l'emplacement de mes ruches...
Je suis gestionnaire... Je peux identifier, au sein de l'espace naturel dont j'ai la charge, les végétations naturelles potentielles qui succéderaient à la restauration de zones dégradées...
Je suis écologue... Je peux vérifier les potentialités d'accueil et de développement d'un habitat ou d'une espèce menacée d'extinction.
Je suis habitant... Je peux anticiper l'impact écologique de la construction de ma maison sur la biodiversité, choisir les espèces d'arbres et d'arbustes des haies de mon jardin les plus pertinentes au regard de ce que peut offrir le climat et la géologie locaux...
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