Le Saxifrage de Lamotte, une espèce endémique d’Auvergne en voie de disparition ?
Première étape de la stratégie de conservation du Conservatoire botanique, la réalisation des bilans stationnels sur les plantes les plus menacées du Massif central permet d’affiner les connaissances sur la répartition de ces derniers sur le territoire ainsi que d'estimer les effectifs présents vis-à-vis des populations historiques. En 2018, une trentaine de plantes particulièrement rares en Auvergne-Rhône-Alpes ont fait l’objet de recherches approfondies et parmi elles, le Saxifrage de Lamotte...
Les Saxifragacées représentent une famille composée de 33 genres et environ 580 espèces, distribuée sur tous les continents et plus particulièrement en zone boréale. Le genre Saxifraga est présent sur les régions terrestres au nord du tropique du Cancer, ainsi qu’en Amérique du Sud, et comprend environ 390 espèces.
Le Saxifrage de Lamotte, Saxifraga lamottei (Saxifragacées), est une espèce endémique française d’Auvergne, localisée uniquement dans le Cantal (massif du Puy Mary) et le Puy de Dôme (Monts Dores, Sancy). Cette espèce se serait différenciée morphologiquement depuis les dernières glaciations, au sein du complexe de Saxifraga exarata présent dans les Alpes.
Cette petite plante vivace de 5 à 15 cm de hauteur, pubescente, glanduleuse, présente une souche densément gazonnante. Ses tiges grêles portent 1-3 feuilles entières ou trifides, fortement nervée et à poils glanduleux, obovales à 3 lobes inégaux, le médian le plus grand, linéaire, oblong, les latéraux entiers ou bidentés, subaigus. Elles portent des panicules de 3-10 petites fleurs d’un blanc jaunâtre ce qui la distingue des espèces S. giziana et S. moschata (Alpes, Pyrénées, Jura). Les sépales sont oblong-lancéolés, subobtus ; les pétales oblongs, non contigus, 1-2 fois plus long que les sépales ; les styles divergents, dépassent le calice.
Le Saxifrage de Lamotte (Saxifraga lamottei)
Cette espèce s’observe à l’étage subalpin, sur les versants des plus hauts massifs de la région, exposés au Nord et à l’Est. On la retrouve plus particulièrement sur les rochers trachytiques à exposition froide, c’est à dire à ensoleillement journalier estival déficitaire et enneigement long et important en hiver, et où les températures sont en moyenne basses, les amplitudes thermiques plus faibles qu’à l’adret et le taux d’humidité plus élevé. Ces falaises abritent alors une végétation spécifique dont l’espèce est caractéristique : Falaise à Saxifrage de Lamotte variante froide à Androsace [Saxifragetum lamottei subass. androsacetosum].
D’après nos récentes visites, la situation de l’espèce est plutôt contrastée d’un massif à l’autre. Les stations sont assez nombreuses et renferment des effectifs élevés dans le massif du puy Mary à la différence des monts Dore, où cette espèce est beaucoup plus localisée avec des populations moins importantes.
La plupart des stations sont situées sur des falaises souvent inaccessibles. En outre elle n’a pas été revue dans certains secteurs des monts du Cantal (Plomb du Cantal) et des monts Dore, et a probablement disparu suite aux aménagements de ski alpin.
D’abord observée en 1849 par M. LAMOTTE en juillet 1849 dans les Monts Dore (cascade de la Dore), l’espèce a ensuite été observée par CHASSAGNE, LASSAGNE, GRENIER et MICHALET avant les années 2000 puis essentiellement par VALLE, ANTONETTI, THOMAS et PRADINAS principalement dans le Puy-de-Dôme ensuite. Les observations relatives au Cantal remontent à LASSAGNE en 1999.
Cette planche d'herbier d'E. Grenier atteste de la présence de Saxifraga lamottei récolté en 1955 dans le Puy-de-Sancy.
Au total, à l’issue des prospections 2018, dans le Cantal et dans le Sancy, c’est près de 2100 individus (touffes) de Saxifraga lamottei qui ont été dénombrées et cartographiées sur les deux massifs du Puy Mary et du Sancy.
Cette espèce étant endémique et l’ensemble des sites connus ayant été visités, on peut en conclure un bilan des effectifs global pour la France (et le monde) circonscrit à plus de 2000 individus (à affiner lors des recherches ultérieures sur les falaises les moins accessibles du Sancy). Cette population isolée et restreinte est menacée directement par le réchauffement climatique comme de nombreuses autres espèces subalpines. Aucune autre menace n’a été observée hormis l’aménagement éventuel de nouvelles infrastructures liées à la pratique du ski.
Ce bilan 2018 permet de dresser un état initial qui s’avèrera dans quelques dizaines d’années particulièrement utile pour évaluer l’impact du réchauffement climatique sur ce taxon.
Marine Pouvreau / CBN Massif central
BIBLIOGRAPHIE
ANTONETTI Ph. et al. 2016. - Index de la flore vasculaire du Massif central (Trachéophytes) - Version 2016.1. Conservatoire botanique national du Massif central.
CHASSAGNE M. 1956 – Inventaire analytique de la Flore d’Auvergne et contrées limitrophes des départements voisins. Tome I. Editions Paul LECHEVALLIER.
OLIVIER L., GALLAND J.-P. & MAURIN H. (coord.) 1995. — Livre rouge de la flore menacée de France : Tome 1 : espèces prioritaires. Muséum national d'Histoire naturelle, Paris, 662 p. (Patrimoines naturels ; 20).
TISON J.M. & DE FOUCAULT B. (coords), 2014.- Flora Gallica. Flore de France. Biotope, Mèze, XX +1196p.
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