Bilan stationnel de Chara canescens dans le Massif central
Le Massif central et les sources salées de Saint-Nectaire (Puy-de-Dôme) abritent l’une des rares populations de la Chara blanchâtre (Chara canescens) en Europe continentale. Le projet ProPartS (Schubert H., Arnal A., Bernhardt K.-G., García-Murillo P., Guarino R., Rodrigo M.A., Troía A.,Turner B., Weitzel J.. 2022), financé par l’Union Européenne, vise à développer des stratégies pour la protection des taxons (i.e. Chara canescens) constitués de souches à reproduction sexuelle et parthénogénétiques interconnectées. C’est dans le cadre de ce programme que le Conservatoire botanique national du Massif central et le Conservatoire des espaces naturels d’Auvergne ont été sollicités en début d’année 2024 par Elisabeth Lambert, spécialiste des Characées et ex-chercheur à l’université catholique d’Angers, pour accompagner dans les sites du Massif central les partenaires espagnols du projet ProPartS : Maria Antonia Rodrigo — Professeur d'écologie et chercheur principal à l'Université de Valence (Espagne), Adriana Arnal, sa doctorante et membre du projet et Éric Puche, chercheur postdoctoral de son groupe de recherche.
Le CBN Massif central, le CEN
Auvergne et l’équipe de Maria Antonia Rodrigo se sont rencontrés à
Saint-Nectaire le 22 mai pour collecter des individus (études génétiques),
analyser les caractéristiques physico-chimiques du milieu, chercher l’espèce
dans d’autres sources salées dans lesquelles Chara canescens est
jusque-là inconnue. Il s'agissait également de prélever du substrat dans des
sites où l’espèce était inconnue afin d’identifier sa présence passée dans des
sites aujourd’hui dégradés (par assèchement, eutrophisation, etc.) par la
recherche d’oospores enfouies dans le sol. Cette entrevue sur le site de
Saint-Nectaire fut l’occasion d’établir le bilan stationnel de cette espèce dans
le Massif central.
Fig. 1 – Principal site des sources salées de Saint-Nectaire – ©LABROCHE A.- CBN Massif central
Parthénogénèse & projet ProPartS
Largement répartie dans l’hémisphère nord, la Chara blanchâtre est une espèce principalement littorale bien que certaines populations continentales se maintiennent dans les sources salées. L’espèce est en déclin dans un certain nombre de régions du fait de la destruction des habitats littoraux (Mouronval et al. 2015), et d’autre part, par le faible nombre de populations continentales. Par ailleurs, Chara canescens est la seule espèce parmi les Charophytes à reproduction parthénogénétique. Les populations françaises sont exclusivement constituées d’individus femelles (populations asexuées), les oospores se forment sans qu’il y ait fécondation. Les populations sexuées, qui demeurent exceptionnelles, se trouvent dans les eaux saumâtres des lagunes et des étangs côtiers à savoir dans seulement 5 sites en Europe (Schubert H., Arnal A., Bernhardt K.-G., García-Murillo P., Guarino R., Rodrigo M.A., Troía A.,Turner B., Weitzel J.. 2022) notamment en Hongrie et en Sicile.
Le maintien des populations asexuées induit un appauvrissement génétique en raison de la recombinaison des caractères limitée à la variabilité génétique d’un seul parent (Schubert H., Arnal A., Bernhardt K.-G., García-Murillo P., Guarino R., Rodrigo M.A., Troía A.,Turner B., Weitzel J.. 2022). Cet appauvrissement est renforcé par la destruction d‘habitats littoraux, l’isolement des sites continentaux et une diminution de la connectivité des populations. Or, la perte de diversité génétique est un élément clé dans l’extinction des espèces.
Le projet ProPartS financé par l’Union Européenne (Biodiversa+, UE), vise à développer des stratégies pour la protection des taxons constitués de souches à reproduction sexuelle et parthénogénétiques interconnectées. Chara canescens est étudié dans le cadre de ce programme. Les objectifs : évaluer la diversité et la structure génétique de Chara canescens à l’échelle européenne (en étudiant la connectivité et les échanges génétiques entre populations sexuées et asexuées) afin d’identifier des zones de conservation prioritaires. La collecte d’individus dans les différents sites européens est nécessaire pour l’aboutissement des études génétiques.
La répartition de Chara canescens dans le Massif central
Une requête des observations de l’espèce depuis le système d’information Lobelia® du CBN Massif central, en date du 19 avril 2024, nous indique que l’espèce a déjà fait l’objet d’observations dans deux sites du Puy-de-Dôme. Ces deux sites sont mentionnés dès le milieu du XIXe siècle par Martial Lamotte et Henri Lecoq (Nicolas 2013). L’une est une source salée située sur les bords de l’Allier, dans la commune de Saint-Maurice (lieu-dit « Sainte-Marguerite »). La seconde, également signalée au début du XXe siècle par Joseph Héribaud, puis quelques dizaines d’années plus tard, en 1957, par Robert Corillion, se trouve dans les sources salées de Saint-Nectaire (figure 1).
La population dans la source salée sur les rives de l’Allier n’a jamais été retrouvée. Le site a considérablement changé depuis le milieu du XXe siècle. Robert Corillion apporte déjà des précisions au sujet de ce site en 1957 : Nous l’avons recherchée également à Sainte-Marguerite où elle a été signalée près de Martre de Veyre et retrouvée par divers auteurs au cours du siècle dernier. Malheureusement, il semble que cette station soit détruite. Beaucoup de sources salées de Sainte-Marguerite, au dire des gens du pays, se sont asséchées depuis un certain nombre d’années (Corillion R., 1957). Ce site, faisant actuellement l’objet de travaux, il n’a pas pu être visité en ce 22 mai 2024. Toutefois, il serait bienvenu de prospecter la zone de présence historique en 2025 afin de confirmer ou d’infirmer la disparition présumée de l’espèce sur ce site. Bien que les oospores de Chara canescens semblent perdre leur pouvoir germinatif plus rapidement que la majorité des autres Characées (Mouronval J.B. et al. 2015), il est tout à fait possible que cette espèce pionnière ait pu se maintenir très localement à la faveur d’un régime de perturbation (pâturage, travaux, etc.).
La seconde population, située à Saint-Nectaire est la seule à avoir fait l’objet d’observations récentes.
Fig. 2 - Planche photographique : de haut en bas et de gauche à droite : vue du site dans son ensemble – ©LABROCHE A.- CBN Massif central
Bilan stationnel 2024
La journée du 22 mai 2024 aura d’une part, permis de contribuer à un projet d’étude génétique à finalité de conservation, à l’échelle de l’Europe, mais aussi, de dresser le bilan stationnel de l’espèce. L’espèce est bien implantée dans les sources de Saint-Nectaire et sa présence de répartie sur deux sites espacés l’un de l’autre de quelques centaines de mètres. Dorénavant, nous disposons d’informations précises quant à la présence, la localisation et l’effectif de Chara canescens dans la commune de Saint-Nectaire, unique localité du Massif central.
Les patchs de présence de l’espèce occupent sensu stricto une surface cumulée de seulement environ 1 m² dans les sources salées de Saint-Nectaire, et s’étendent sur environ 150 m² d’habitats favorables.
Le site principal des sources salées de Saint-Nectaire prend place dans un espace prairial pâturé par des bovins, et présente des pentes relativement accentuées d’exposition sud-sud-est. À mi-versant, sur une zone de faible pente, émergent des sources salées. Ces zones se caractérisent par la présence d’une végétation vasculaire caractéristique des milieux prairiaux subhalophiles, structurée et dominée notamment par le Plantain maritime (Plantago maritima L.), le Glaux maritime [Lysimachia maritima (L.) Galasso, Banfi & Soldano], le Troscart maritime (Triglochin maritima L.), le Jonc de Gérard (Juncus gerardi Loisel.), la Laîche à épis distants (Carex distans L.) ainsi que par les pucinellies du groupe distans. Outre les caractéristiques physico-chimiques des eaux (les mesures opérées par Elisabeth Lambert le 17 mai 2018 sont les suivantes : température de l’eau 18,7°C ; pH : 8,4 ; conductivité : 8.26 mS/cm ; salinité : 4,6 g/l ; notons que des mesures ont été réalisées en 2024 par l’équipe du professeur Maria Antonia Rodrigo et seront prochainement partagées), le piétinement induit par le pâturage bovin de ces sources constitue un facteur de perturbation prégnant, favorable et même indispensable au maintien de Chara canescens. L’espèce se développe dans les petites dépressions de 20-30 cm de profondeur (lame d’eau de 0-10 cm) dans des zones récemment pâturées et piétinées, puis disparaît localement, car rapidement concurrencées l’année suivante par des plantes vasculaires nettement plus compétitives. Les oospores abondamment produites par les individus s’accumulent dans le sol et se développeront à l’occasion des prochaines perturbations du sol, si les conditions stationnelles sont toujours adéquates quant aux exigences écologiques de l’espèce.
Le site secondaire des sources salées de Saint-Nectaire se trouve au nord du site principal présenté précédemment. La source s’écoule vers le sud-est dans un espace non pâturé, notamment du fait de l’importance des dépôts incrustés, que ce soit aux abords de l’aire de présence de l’espèce, en lisière d’une petite parvoroselière, mais également sous l’ensemble de cette petite roselière contiguë — dans laquelle Chara canescens n’a pas été observée.
Dans le Massif Central, Chara canescens a fait l'objet d'une pré-évaluation des menaces dans le cadre d'un travail portant sur les Characées du Massif Central (Labroche 2019) et est considérée comme en danger critique d'extinction [CR B2ab (ii, iii)]. Les éléments acquis en 2024 ne sont pas à même de faire évoluer cette évaluation. Les deux parcelles abritant les populations de Chara canescens bénéficient d'une gestion par le Conservatoire d'espaces naturels d'Auvergne. La gestion actuelle du site principal (pâturage relativement extensif) semble favorable à Chara canescens. Le site secondaire ne fait pas l’objet de pâturage du fait de la forte sensibilité des sources incrustantes au piétinement. Néanmoins, comme toutes les zones humides, ces sources sont potentiellement menacées par une dégradation autant d’un point de vue qualitatif que quantitatif. Le changement climatique aura irrémédiablement des conséquences sur l’amenuisement des sources.
Aurélien Labroche/CBN Massif central
Bibliographie
CORILLION R. 1957. - Les charophycées de France et d'Europe occidentale. Université Paul Sabatier, Toulouse III, 499 p.
LABROCHE A. 2019 – Amélioration des connaissances relatives aux Charophytes en région Auvergne-Rhône-Alpes (bilan 2019). Conservatoire botanique national du Massif central / Région Auvergne-Rhône-Alpes, 44 p.
NICOLAS S. 2013. – Caractérisation des herbiers à Characées (3140) en Auvergne. Conservatoire botanique national du Massif central / Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement d’Auvergne, 21 p.
MOURONVAL J.B., BAUDOUIN S., BOREL N., SOULIÉ-MÄRSCHE I., KLESCZEWSKI M. & Grillas P. 2015. Guide des Characées de France méditerranéenne. Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage, Paris, 214 p.
SCHUBERT H., ARNAL A., BERNHARDT K.-G., GARCÌA-MURILLO P., GUARINO R., RODRIGO M.A., TROÌA A., TURNER B., WEITZEL J. 2022. Developing strategies for the protection of taxa consisting of interconnected sexual and parthenogenetic reproducing strains. Project funded by Biodiversa+ (2021-2022, GA N°101052342).