Colchique d’automne ou Colchique automnal
Colchicum autumnale L.
« Colchiques dans les prés fleurissent, fleurissent
Colchiques dans les prés : c’est la fin de l’été… »
Avant même que Francine Cockenpot et Jacqueline Debatte ne composent et chantent ce célèbre refrain nostalgique, le Colchique est une plante connue de tous. Les Auvergnats appelaient, « Cëbo de pra », « Safran de pra » « Veillandaire » ou « Veillotte » cette petite plante à cormus qui, à la veille de l’Automne, constelle les prairies de ses délicates corolles lilacées. Le Colchique possède effectivement l’étrange faculté de fleurir, sortant de terre sans feuilles ni tiges, tandis que nos souvenirs estivaux se flétrissent. Fécondé par les étamines, l’ovaire situé sous terre au fond du tube de la corolle, ne donnera des fruits (capsules à trois loges) qu’au printemps suivant au milieu de deux (ou trois) longues feuilles .
Cette « Dame-nue », aussi frêle et gracieuse soit-elle, ne doit pas faire oublier la sombre origine étymologique qui entoure son nom latin : Colchicum autumnale - du grec kolkhikon, qui signifie « herbe de Colchide ». Beaucoup s’accordent à dire que le Colchique pourrait être, avec l’Aconit ou la Mandragore, le mythologique Prométheion, cette plante caucasienne maléfique dont usa Médée pour aider Jason à trouver la Toison d’or et le protéger des terribles créatures qu’il dût affronter.
Ensuite, elle serre sa robe, et, faute d’un pouvoir plus sûr que celui-ci, elle tire la fleur éclose du foie sanglant de Prométhée, sur le Caucase, graines que le mont a nourries et que parmi la neige et les sombres frimas ce sang maudit fortifie et sustente, quand le vautour, ayant rongé l’organe, des rocs prend son essor et de son bec ouvert fait pleuvoir sa rosée. Et loin de se flétrir au terme d’une longue vie, la même fleur garde immortelle sa fraîcheur et résiste à la foudre, intacte : au cœur du feu ces plantes-là s’épanouissent.
Les Argonautiques
Valérius Flaccus
En un calme enchanté, sous l'ample frondaison
De la forêt, berceau des antiques alarmes,
Une aube merveilleuse avivait de ses larmes,
Autour d'eux, une étrange et riche floraison.
Par l'air magique où flotte un parfum de poison,
Sa parole semait la puissance des charmes ;
Le Héros la suivait et sur ses belles armes
Secouait les éclairs de l'illustre Toison.
Illuminant les bois d'un vol de pierreries,
De grands oiseaux passaient sous les voûtes fleuries,
Et dans les lacs d'argent pleuvait l'azur des cieux.
L'Amour leur souriait, mais la fatale épouse
Emportait avec elle et sa fureur jalouse
Et les philtres d'Asie et son père et les Dieux.
José-Maria de Heredia (1842-1905), Les Trophées, 1893
Après l’avoir épousée, Jason quitta Médée pour rejoindre Créüse, fille du roi Créon. Par jalousie, Médée tua sa rivale en enduisant sa robe du brûlant poison. Elle mourut d’un feu intérieur si puissant qu’il embrasa Corinthe toute entière.
Le sens de cette tragédie a traversé les siècles et, aujourd’hui encore, offrir des colchiques est un moyen d’exprimer sa jalousie avec habileté et tact.
Certains ne se sont pas laissé prendre au charme du diaphane Colchique et l’ont rebaptisé « Arsenic végétal », « Tue-chien », « Chiennée », « Chenard », « Mort-chien », « Tue-Loup », « Vachette »… Autant de noms évocateurs de sa toxicité dont Apollinaire a écrit ce magnifique poème :
Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s’empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne
Les enfants de l’école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières
Qui battent comme les fleurs battent au vent dément
Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne
Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913
Tantôt confondus avec le Crocus (d’où l’appellation de Faux Safran ou Safran-des-prés) ou avec l’Ail des Ours (le Colchique est parfois appelé, à tort, Ail des prés) dont les feuilles se consomment en salade, tantôt récoltés par les enfants (les tiges surmontées de capsules renfermant les graines font de dangereux hochets), les Colchiques sont sources de nombreux accidents, la plupart mortels.
Chaque partie de la plante contient de la colchicine, un alcaloïde si puissant qu’il suffit de 5 grammes de graines chez l’adulte, moins de 2 grammes pour l’enfant, ou encore 50 à 60 grammes de feuilles pour engendrer la mort. Les symptômes de l’intoxication sont proches d’un empoisonnement à l’arsenic : brûlures buccales, vomissements, gastro-entérite aiguë parfois sanguinolentes, hémorragies, chute de température corporelle et de tension artérielle, désordres nerveux, convulsions, spasmes, paralysie respiratoire puis collapsus cardiovasculaire conduisant à la mort en quelques dizaines d’heures. Il est communément admis que 0,5mg de colchicine par kilogramme de masse corporelle constitue une dose toxique pour l’homme ; elle serait chez les bovins de 8 à 10 grammes de feuilles fraîches / kg de masse corporelle. Si dans les herbages, cette plante est normalement refusée par les animaux, on pensera toutefois aux conséquences dramatiques d’un foin contenant des feuilles desséchées de cette plante.
L’utilisation médicinale de la colchicine a toujours suscité beaucoup de méfiance. Si les Turcs trouvaient l’extase en buvant une macération vineuse de la plante toute entière (qu’on ne peut que déconseiller aujourd’hui), les Byzantins l’utilisaient pour soigner les inflammations brûlantes des pieds. Une poignée de feuilles placées dans les chaussures avec lesquelles on marcherait une journée entière, serait un remède efficace contre les cors… Cependant la haute toxicité de la plante ne peut que nous conduire à la prudence quant à l’application de ce remède.
Les médecins Iraniens (au Xe siècle), puis les médecins arabes (XIIIe siècles) utilisaient déjà le cormus de colchique pour soigner la goutte. En Europe, ce n’est que vers le XVIIe siècle, après l’avoir utilisé superstitieusement en amulette contre la dysenterie et la peste, qu’il fut admis par les autorités médicales pour soigner les rhumatismes et la maladie goutteuse. Obtenue par synthèse depuis la fin du XIXe siècle, la colchicine et ses dérivés sont toujours utilisés à cette fin mais également pour traiter certaines maladies dermatologiques ou musculaires (myorelaxant), non sans effets secondaires. Redécouverte pour ses propriétés antimitotiques (bloque la division cellulaire), anti-inflammatoires et analgésiques, la colchicine contribue au traitement de certaines tumeurs cancéreuses (ganglionnaires) et de la mucoviscidose.
En génétique, ces propriétés antimitotiques sont par ailleurs utilisées pour obtenir des plants polyploïdes (plants difformes, géants, à croissance rapide, etc.). À cet égard, on notera la présence persévérante de colchicine dans les premières générations de fruits issus des plants génétiquement modifiés.
Sur le plan botanique, et bien qu’il soit relativement répandu à l’échelon national, le Colchique d’automne est plus rare ou absent de certains secteurs de Bretagne, de Normandie et surtout de la région méditerranéenne. Dans le territoire d’agrément du Conservatoire botanique national du Massif central, cette espèce est bien représentée dans les département du Puy-de-Dôme, du Cantal et de la Haute-Loire, un peu moins en Ardèche, dans le Rhône et la Loire et rare dans l’Allier ainsi qu’en Limousin où elle est protégée en Haute-Vienne.
L’éradication du Colchique en raison de sa toxicité pour le bétail ne doit pas faire oublier ses nombreuses applications pharmaceutiques et vétérinaires, et d’une manière plus générale, l’utilité des plantes et la préservation de leur diversité.
Principales sources documentaires :
ANTONETTI Ph., BRUGEL E., KESSLER F., BARBE J.P. & TORT M., 2006. – Atlas de la Flore d’Auvergne. Conservatoire botanique national du Massif central, 984 p.
BONNIER G., 1990. - La grande flore en couleurs de Gaston Bonnier. 4 :Texte. Belin Éd., Paris, 4, : 677-1401 p.
BRUNETON J., 2005. - Plantes toxiques - Végétaux dangereux pour l'homme et les animaux. Editions Médicales internationales, Éditions Tec & Doc, Paris, 618 p.
FROHNE D., PFÄNDER H.J. & ANTON R., 2009. - Plantes à risques. Éditions Tec & Doc, Paris, 460 p.
SOUBIRAN J., 2002. – Argonautiques, par Valerius Flaccus. Introduction, texte et traduction rythmée, notes et index par Jean Soubiran. Bibliothèque d’études classiques. Éditions Peeters.
Le Colchique, Simples mortels. Éditions fluo, Paris, 16 p.
Pour en savoir plus :
Wikipédia
Tela Botanica
Thérapeutique Dermatologique