Les bryophytes des Cévennes gréseuses ardéchoises
Initié par le Conservatoire botanique national du Massif central en 2022, le collectif bryologique du Massif central rassemble des bryologues experts et en devenir, pour l’essentiel de la région éponyme et de ses alentours. Un des premiers objectifs du collectif est de fédérer les bryologues autour du Massif central, avec pour finalité d'améliorer l'état des connaissances des mousses, hépatiques et anthocérotes, de prendre part à leur conservation, tout en permettant à chacun de monter en compétences. Les secteurs du Massif central (comme ceux de France) bryologiquement méconnus sont encore nombreux. La découverte d’une anthocérote nouvelle pour la France (Anthoceros caucasicus) en avril 2021 dans les Cévennes gréseuses d’Ardèche et la méconnaissance de la bryoflore de cette région naturelle ont naturellement orienté le collectif vers cette région pour sa première rencontre annuelle, en mars de l’année suivante.
Vue du Ranc Chalède (Ribes), dalle de grès prospectée par le collectif – ©LABROCHE A. – CBN Massif central
Les inventaires, qui se sont échelonnés sur trois journées (25 au 27 mars 2022), ont concerné cinq secteurs de l’Ardèche méridionale, tous situés dans le périmètre du Parc naturel régional des Monts d’Ardèche et au niveau d’affleurements de grès triasiques :
- – aux lieux-dits Ranc Chalède et Ravin de Prades (commune de Ribes) ;
- – au lieu-dit Vignelongue et dans le vallon du ruisseau de Feyrolle (commune de Chambonas) ;
- – dans le vallon de la rivière d’Alune (à la limite entre les communes de Ribes et Lablachère).
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Les sites étudiés et leur emplacement sur les différents types de grès du Trias ; M. Maglio, CC-BY-NC-ND.
La bryoflore inventoriée se compose de 182 mousses sensu stricto, 46 hépatiques et d’une anthocérote de grande valeur patrimoniale, Anthoceros caucasicus, seule mention française actuelle, découverte dans le secteur de Vignelongue (Chambonas) en début du printemps 2021. Notons également la seconde observation à l’échelle de la région Auvergne-Rhône-Alpes pour Ptychostomum mini, espèce méditerranéenne connue auparavant en France dans le massif varois des Maures seulement (Skrzypczak, 1998), puis récemment observée toujours en Ardèche, au nord d’Aubenas (Ellis et al., 2021). Quatre nouvelles espèces viennent enrichir la bryoflore d’Ardèche : Campylopus atrovirens, Didymodon ferrugineus, Palustriella falcata et Tortella fasciculata. Pour cette dernière espèce, il s’agissait de la première mention pour le Massif central, elle a depuis de nouveau été découverte dans les monts du Rhône en 2022 et en 2023 dans le vallon de la Felloidière à Ampuis (Rhône), sur un affleurement de granites d’anatexie en exposition sud.
Près de 8 % (soit 17 taxons) de la bryoflore inventoriée sont inscrits sur la Liste rouge de l’ex-région Rhône-Alpes (CBNA & CBNMC, 2022) sous un statut de menace :
- – quatre en danger (EN), Campylopus atrovirens, Cephalozia turneri, Epipterygium tozeri, Gongylanthus ericetorum ;
- – treize vulnérables (VU), Archidium alternifolium, Bartramia aprica, Campylopus flexuosus et C. fragilis, Corsinia coriandrina, Entosthodon obtusus, Fissidens pusillus, Fossombronia angulosa et F. caespitiformis, Grimmia lisae, Heterocladium obtusum, Porella obtusata, Riccia beyrichiana.
Par ailleurs, vingt-quatre taxons sont classés comme quasi menacés (NT).
Quatre taxons figurent sur la Liste rouge européenne (Hoddgets et al., 2019), parmi lesquels deux au rang de vulnérable (VU) – Atrichum angustatum et Riccia warnstorfii – et deux au rang de quasi menacé (NT) – Philonotis calcarea et Porella arboris-vitae Enfin, une seule espèce fait l’objet d’un statut réglementaire (Leucobryum glaucum) inscrite à l’annexe V de la directive Habitat (92/43/CEE).
Bien qu’ils soient inclus dans le périmètre du PNR des Monts d’Ardèche, en dehors des agglomérations urbaines et des grands circuits touristiques, les sites étudiés ne sont pas à l’abri des menaces récurrentes qui atteignent les milieux naturels. La qualité et la quantité d’eau sont des éléments fondamentaux pour la bonne conservation des communautés liées aux sources et suintements, ce qui implique une attention particulière sur les activités de captage et sur les phénomènes de pollution des sources en amont. De plus, le changement climatique détermine un prolongement et une aggravation des sécheresses et une hausse générale des températures, ce qui n’est pas sans impact sur la quantité d’eau disponible dans le sous-sol (bilan hydrique climatique annuel déficitaire).
Protubérances gréseuses appelées localement « tétines » : les versants nord de ces « montagnes » sont investies par Grimmia decipiens tandis que les versants sud par Grimmia laevigata – ©SULMONT E.– CBN Massif central
La fragilité des communautés bryophytiques colonisant les dalles et surplombs de grès est trop grande pour ouvrir ces sites à une mise en valeur touristique, et ce malgré leur extraordinaire originalité. L’impact d’une fréquentation régulière (principalement par piétinement, arrachage et eutrophisation), comme l’illustre l’expérience malheureuse d’aménagement des Tétines de Vernon, aurait des répercussions significatives et rapides sur l’état de conservation de ces milieux et des communautés bryophytiques associées. Un suivi des communautés des mousses et d’hépatiques érodées par la surfréquentation touristique dans le site des Tétines de Vernon permettrait de documenter le temps nécessaire aux communautés pour reconstituer les formes originelles et d’évaluer en quelque sorte leur résilience.
Les plus importantes sources pétrifiantes du vallon du ruisseau de Feryrolle sont situées en bord de route : tous les travaux routiers (aménagement, mise en sécurité, gestion et entretien, etc.) devront tenir en compte de l’extrême fragilité de ces milieux.
Au ravin de Prades, la situation est complexe car les communautés muscinales dépendent à la fois de la ressource en eau et de la naturalité du contexte forestier. La présence de Leucobryum glaucum s.l. nous indique l’existence d’une certaine continuité forestière et d’un niveau de perturbation faible en bas de versant, nécessaire au maintien de l’ensemble des bryocénoses. Néanmoins, le site n’est pas loin de plantations de résineux et de châtaigniers. L’extension de telles exploitations pourrait constituer une menace. Les pinèdes secondaires sur maquis à éricacées, en haut du versant, indiquent une exploitation ou un défrichement passé en train de se cicatriser. La gestion forestière, si elle existe, doit être raisonnée et douce pour garder dans le sous-bois un microclimat confiné favorable. La mise en place pour les milieux forestiers d’îlots de vieillissement reste la meilleure préconisation, en prenant soin de conserver les trouées forestières – toutefois naturellement présentes au niveau des sauts de roche et des escarpements les plus raides – dans la structure du couvert forestier, nécessaires au maintien des communautés à Campylopus atrovirens.
Ce travail pose les bases d’une meilleure connaissance des Mousses et Hépatiques des grès ardéchois. Les premiers résultats livrent un large aperçu de la richesse bryophytique et en même temps ouvrent une série de questions auxquelles il faut encore répondre :
- concernant les espèces en situation d’isolat comme Campylopus atrovirens, Anthoceros caucasicus ou Ptychostomum minii, s’agit-il de reliques de stations autrefois plus étendues ? Ou s’agit-il d’ensemencements fortuits par des diaspores transportées lors de tempêtes ? Des études génétiques comparées avec d’autres isolats et les principaux noyaux de populations de ces espèces permettraient-elles d’en savoir plus sur l’origine géographique, la date et donc le contexte climatique de leur installation en Ardèche ?
- les nombreux sites miniers des grès du Trias hébergent-ils un cortège d’espèces métallophiles remarquable ?
- les grès du Trias et les grès-conglomérats du Houiller (Carbonifère) sont régulièrement en contact le long du piémont cévenol du Massif central et on constate déjà des différences notables du point de vue de la flore vasculaire. Quel est le niveau de similarité entre les communautés muscinales de ces deux situations géologiques ?
- les grès représentent-ils un meilleur refuge pour les bryophytes face au changement climatique que d’autres substrats, tels les schistes ou les granites par exemple ? Le cas échéant, devraient-ils faire l’objet d’une plus grande attention et de mesures de protection ?
- où se trouvent les sites gréseux les plus riches qui nécessitent des mesures de protection fortes ?
Vous trouverez dans l’article — Les bryophytes des Cévennes gréseuses ardéchoises — librement accessible en cliquant ici de nombreuses informations abordant aussi bien la géographie, la géologie et le climat des Cévennes ardéchoises, mais aussi, une description détaillée des communautés muscinales identifiées et de la chorologie des espèces remarquables associées.
Le collectif réuni en 2022 à Chambonas ! ©LABROCHE A.- CBN Massif central
Rejoignez le collectif bryologique du Massif central ! Pour plus d'informations : cbnmc.fr, aurelien.labroche@cbnmc.fr
Mattia Maglio (1), Aurélien Labroche (2), Marc Philippe (3), Emeric Sulmont (4)
(1) 31 rue Jean-Jaurès, F-69120 Vaulx-en-Velin ;
mattia.maglio17@gmail.com
(2) Conservatoire botanique national du Massif central, antenne Rhône-Alpes, 2 rue Benaÿ, F-42410 Pélussin ;
aurelien.labroche@cbnmc.fr
(3) 9 boulevard Joffre, F-69300 Caluire‐et‐Cuire;
marc.philippe@univ-lyon1.fr
(4) Parc national des Cévennes, 6 bis place du Palais, F-48400 Florac-Trois-Rivières;
emeric.sulmont@cevennes-parcnational.fr
Photo de couverture – Anthoceros caucasicus, une anthocérote remarquable des grès ardéchois – ©LABROCHE A.– CBN Massif central