Suivi des pratiques agricoles

Suivi des pratiques agricoles

Des pratiques agricoles favorables à la biodiversité des milieux ouverts herbacés du Massif central à maintenir, à surveiller et à valoriser

Occupant 40% de la surface du Massif central, les prairies et autres milieux soumis au pâturage ou à la fauche ont forgé l'identité de ce territoire au point d'en avoir façonné, à travers des pratiques pastorales millénaires, les paysages, la faune et la flore qui les peuplent, mais aussi la culture et l'économie locales. Un quart des réservoirs de biodiversité potentiels ont été identifiés au sein des milieux agropastoraux tandis qu’en 2021, le CBN Massif central recensait plus de 135 types de végétations prairiales dont certains peuvent héberger jusqu’à 60 espèces de plantes différentes ! Une corrélation très forte existe entre la diversité d’une prairie et son âge (sans mise en culture ni retournement) ce qui amène à considérer les vieilles prairies comme un véritable patrimoine paysan et naturel. Les prairies anciennes, sous réserve que leur niveau de fertilisation n’ait pas trop augmenté, se montrent ainsi particulièrement riches en espèces d’intérêt patrimonial qui sont souvent des espèces à faible capacité de dispersion.


L’intensification des pratiques culturales en plaine et leur développement en haute montagne, l’abandon des pratiques pastorales sur les terrains les plus pauvres, l’utilisation de fertilisants sur des terres inadaptées, la diminution du nombre d’exploitations, etc. sont autant d’exemples de mutations agricoles qui traversent aujourd’hui les milieux agropastoraux du Massif central et viennent fragiliser et uniformiser leur diversité végétale. Les travaux scientifiques réalisés ces dernières années ont montré que les apports azotés ont été multipliés par six en quelques décennies. Cette évolution impacte durablement la composition floristique des prairies en favorisant quelques espèces banales (orties, chardons, ombellifères, pissenlits…) au détriment de très nombreuses espèces frugales, plus rares et moins compétitives (marguerites, campanules, knauties, orchidées…). La raréfaction de certaines plantes tels que le Narcisse des poètes ou la Jonquille est une conséquence directe, et visible de tous, des changements de pratiques.

Outre la surfertilisation, l’intensification de la production d’herbe est souvent subordonnée, aujourd’hui, au retournement du sol provoquant la destruction définitive de certaines espèces à rhizomes ou à bulbes, et à l’utilisation de semences commerciales introduisant dans le milieu naturel des espèces non adaptées, sinon au patrimoine génétique étranger voire modifié. De même, le développement récent des pratiques de séchage en grange et/ou d’enrubannage permettant une exploitation de l’herbe de plus en plus précoce constituent une pression supplémentaire en éliminant progressivement les espèces tardives, fragilisant de fait la résilience des herbages en cas de gel précoce. Et si l’intensification des pratiques agricoles a un impact sur la flore sauvage, l’abandon de l’agriculture est presque tout aussi préjudiciable, notamment pour les espèces de pelouses sèches extensives. Selon la liste rouge de la flore vasculaire menacée de France (2018) à laquelle ont contribué les CBN, plus de 235 plantes liées aux espaces agricoles sont ainsi menacés tandis qu’en 2019, les experts rapportaient que la moitié des prairies et pelouses d’intérêt communautaire présentaient un état de conservation défavorable. Sur le Massif central, c’est près de 400 espèces de plantes des milieux herbacés ouverts qui seraient menacées ou quasi menacées de disparition à l’échelon régional. Pourtant les prairies rendent de nombreux services aux sociétés humaines, dont la valeur économique est estimée entre 600 et 4000 €/ha. Récemment, il a été démontré que les prairies naturelles stockent d’autant plus de carbone que leur diversité floristique est élevée.

En outre, le CBN a depuis ses débuts accompagné les filières d’élevage vers une meilleure prise en compte de la flore dans leurs processus de production, la compréhension des écosystèmes prairiaux et les liens qui existent entre la flore et la qualité des produits. L’enthousiasme porté par les éleveurs engagés aux côtés du CBN à travers ses travaux ne peut qu’encourager ce dernier à poursuivre dans cette voie. Former et informer les éleveurs sur les formidables leviers offerts par la prairie naturelle face aux enjeux agricoles et environnementaux rencontrés par ces derniers constitue un vrai leitmotiv !


La diversité herbagère est à l’origine d’une production laitière et carnée de grande qualité, récompensée et encouragée par de multiples labels et AOP. À l’image du Saint-Nectaire ou du Fin gras du Mézenc, ces dernières ont parfois intégré la prairie naturelle dans leur cahier des charges et tiennent à sa bonne conservation, tant pour des besoins d’images que pour assurer les qualités organoleptiques intrinsèques aux productions. Maintenir et valoriser ces activités agropastorales, c’est assurer durablement la préservation de la flore prairiale qui conditionne la qualité de ces produits. Ainsi, au gré des crises écologiques et sociales que connaissent les filières d’élevage, la prise en compte de la biodiversité dans la ressource fourragère et l’évolution de cette dernière face aux changements globaux constituent aujourd’hui autant de problématiques partagées entre les acteurs environnementaux et le monde agricole. Tous les experts s'accordent à dire que l'évolution de la pérennité et de la qualité des milieux agropastoraux constitue un enjeu majeur et multiforme pour le Massif central (préservation des sols, maintien de l’activité agricole dans les régions défavorisées, préservation de la biodiversité, stockage de carbone, prévention contre les incendies forestiers…). Notons qu’à l’égard du dérèglement climatique attendu, conserver une flore suffisamment diversifiée est crucial pour mieux faire face aux aléas climatiques dont la fréquence et l'importance risquent de croître les années à venir (intérêt des prairies humides en période de sécheresse, flore tardive en cas de gel précoce, etc.).

Après avoir doté les exploitants et les conseillers agricoles de nombreux outils (typologie, catalogue, livrets…) et méthodes (TRAME, DIAM, CarHab…) pour évaluer l’état de conservation des végétations herbacées et l’impact des pratiques agricoles sur celles-ci, l’heure est à la revalorisation et au maintien des pratiques qui ont permis la préservation de ce patrimoine, parfois décriées durant les décennies précédentes. La constitution d’un observatoire des évolutions des milieux agro-pastoraux, le partage du savoir et du savoir-faire des botanistes et des paysans (en particulier auprès des établissements d’enseignement agricole), l’organisation d’ateliers d’échange et de formation auprès de collectifs d’éleveurs souhaitant approfondir la compréhension de leurs prairies naturelles, l’éducation des consommateurs sur les liens ténus entre leur assiette et la biodiversité, l’éco-conditionnalité des aides financières (MAEC) et récompenses (concours prairies fleuries) fondées sur une obligation de résultats et non de moyens, sont autant de pistes et de leviers qui permettraient de maintenir les activités pastorales favorables à la biodiversité des milieux ouverts herbacés du Massif central.